De la démocratie à l’école

Qu’est-ce que la démocratie ? Le philosophe Paul Ricoeur (1913-2005) en faisait la définition suivante : « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage. ». de-la-démocratie-à-l_école

Au sein d’une école, reproduction à échelle réduite d’une société, apparaissent traditionnellement des divisions : entre élèves et enseignant.e.s, enfants et adultes, élèves en réussite et élèves en difficulté, filles et garçons…

Alors cette définition de la démocratie prend tout son sens : la démocratie doit être à fois un objet pédagogique, une nécessité dans le fonctionnement de l’école et, finalement, un moyen d’émancipation de toute la communauté éducative.

De la démocratie à l’école d’hier et d’aujourd’hui

De la mise en place de l’école républicaine avec les lois Ferry dans les années 1880 jusqu’aux années 1960-70, prédominait le modèle de la transmission : l’enseignant.e apportait un savoir que les enfants se devaient… d’apprendre. Une pédagogie où le rôle de l’élève n’était alors que de connaître par cœur, de restituer (les poésies, le roman national de l’Histoire de France, les tables de multiplications…), de bien se tenir et de travailler. Celui qui apportait le savoir était le maître (terme ô combien connoté).

Puis à partir des années 1980, un nouveau modèle pédagogique a commencé à émerger, tendant à mettre l’enfant au cœur des apprentissages : il ne suffisait plus seulement d’apprendre pour apprendre, mais de donner du sens aux apprentissages. Il est plus aisé de comprendre les besoins d’une plante pour pousser en expérimentant par la création d’un jardin observable qu’en se contentant d’apprendre par cœur un manuel sur la photosynthèse et les nutriments dans le sol… Cette orientation a culminé avec les programmes de l’école primaire de 2002, année qui a par réaction vu le retour des tenants de l’école « à la papa », avec les « c’était mieux avant » de circonstance, qui ont conduit dès 2008 à une approche plus magistrale de l’enseignement.

Mais dans un cas, comme dans l’autre, quid de la démocratie ? L’enseignant.e reste le maître de sa classe, et malgré toute la bonne volonté qui a pu être mise à mettre les élèves au centre des apprentissages, ce sont les programmes et l’enseignant.e, dans la mesure de sa liberté pédagogique, qui apportent les enseignements aux enfants comme un serveur apporte un café. Les enfants n’ont pas leur mot à dire, et c’est là un enjeu majeur de la démocratie à l’école : mettre véritablement l’élève au cœur de ses apprentissages.

La démocratie comme apprentissage

Certes, il y aura, à n’en point douter, toujours des programmes à suivre. Certes, l’enseignant.e aura toujours un rôle à jouer. Mais il faut remettre l’enfant au centre de sa propre scolarité : son emploi du temps doit être individualisé et conçu avec lui, il doit être malléable. Des mathématiques étaient prévues et il n’en a pas envie ? Cela doit être discuté, argumenté, et un consensus doit-être trouvé : un élève qui travaille de son plein gré le fera mieux que celui que l’on oblige à faire. Les programmes sont une finalité, pas un chemin qu’il faut suivre aveuglément. L’enseignant.e doit apporter son aide, soutenir en fonction des besoins, des demandes, des intérêts de chacun dans le cadre de projets ; pas se borner à enseigner, faire apprendre. C’est par l’envie donnée par la liberté de choix qu’un enfant pourra progresser et s’épanouir en tant qu’élève. Et cela ne peut passer que par la démocratie.

Mais la démocratie ne va pas de soi, et probablement encore moins en milieu scolaire où des années (voire des siècles) de pédagogie magistrale ont laissé des traces. Les élèves (comme leurs parents d’ailleurs) attendent bien souvent de l’enseignant.e une attitude d’autorité, qui est bien souvent adoptée par ces derniers. La démocratie doit être un apprentissage en soi, tant pour les enfants que pour les adultes de la communauté éducative : apprendre à confronter les points de vue, à exprimer son opinion et à écouter celle des autres, à argumenter, à se mettre d’accord (ou pas), à participer à un débat large comme à un dialogue… La démocratie ne peut se mettre à place que si elle est pensée, travaillée, remise en question… Cet apprentissage peut se concevoir tout à la fois comme un préalable et comme une finalité, aussi contradictoire que cela puisse paraître.

La démocratie comme outil d’émancipation

Et afin d’apprendre la démocratie pour la faire vivre au sein de l’école, il est une condition sine qua non : la place égalitaire de chacun. Chaque enfant a autant le droit à la parole que les autres, bien évidemment, mais sa parole a autant de valeur que celle des autres, sans distinction d’âge, de sexe… Et plus encore, contrairement à l’école « traditionnelle », sa parole a autant de valeur que celle des adultes. Dans la vie démocratique de l’école, l’adulte n’est plus là pour sanctionner, mais pour donner son avis, au même titre que les enfants. Dans les décisions soumises au vote, un enfant vaut une voix, tout comme un adulte.

De ce fait, chacun participe à la vie de l’école, particulièrement au sein de l’Assemblée Générale (AG), organe central de la vie collective et démocratique : des propositions peuvent émaner de chacun (élèves comme enseignant.e.s) avant d’être discutées. En cas de conflit, l’AG réunissant toute la communauté scolaire se réunit pour débattre et trouver, collectivement et dans le respect de chacun, une solution. Les tâches partagées entre chacun pour la vie collective et l’entretien de l’école (cuisine, vaisselle, ménage des salles, entretien de la cour…) sont réparties de la même façon en AG. Tous les enfants et les adultes de l’école sont donc ainsi des acteurs actifs et investis de la vie de l’école.

Dans notre société, l’enfant a très peu de place et n’a que peu son mot à dire sur ce qui l’entoure, même si cela le touche directement. Il subit les horaires imposés par le travail de ses parents, ne peut que rarement faire ses propres choix…

Et cela est encore plus vrai à l’école : il ne maîtrise pas son propre emploi du temps, n’a pas de place dans les décisions concernant la vie de l’école (on trouve des parents dans les conseils d’école du primaire… mais pas d’enfants) alors qu’il en est l’épicentre, doit suivre des programmes pensés par classe d’âge (certains enfants sont prêts à apprendre à lire en grande section de maternelle, d’autre pas avant le CE1)…

Le rôle de l’école, au-delà des apprentissages fondamentaux (français, mathématiques…), doit être de former des êtres pensants par eux-mêmes, et épanouis, afin qu’ils puissent s’investir dans leurs vies futures. Les apprentissages fondamentaux ne sont qu’un moyen de devenir des êtres pensants ; mais c’est la vie démocratique, la confrontation d’idées et d’intérêts divergents qui fera des élèves d’aujourd’hui des personnes pensant par elles-mêmes demain. C’est la démocratie, au sein de l’école, qui est un vrai moyen d’émancipation, plus que l’école elle-même.

Et c’est pour cela que la démocratie, est le véritable moteur de notre projet d’école.

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